Il est très facile d'avoir l'air avantageux lorsque tout nous sourit – amours, argent, santé -, et plus encore suite à une victoire. Et si de surcroît cette victoire est méritée (ce qui ne veut pas dire grand chose), on aura tendance à tenir la tête haute et le regard fier. Ceci est valable quel que soit le contexte où l'événement s'est produit.
Très peu de gens sont conscients du fait que c'est au soir des grandes victoires que l'on prépare les grandes défaites (éventuellement méritées, ce qui, là non plus, ne veut pas dire grand chose).
Un désastre amène généralement une attitude, un comportement caractéristique par lequel on reconnaît tout de suite un vaincu. Il est à noter qu'un vaincu peut être occasionnel ou chronique...
Ce qui précède peut facilement être constaté un peu partout, mais la question qui devrait venir à l'esprit est : quel comportement sera le mien le jour du désastre, de la déroute ? Serai-je effondré ou, au contraire, saurai-je donner le change ?
Il est bien difficile de répondre à une telle question mais peut-être est-elle mal posée, car tout cela n'est pas seulement une question d'attitude extérieure forcée, ce » qui ne serait déjà pas si mal, mais bien plutôt l'expression d'une réalité intérieure qui transparaîtra tout naturellement.
J'ai
en mémoire un tableau célèbre montrant la reddition de
Vercingétorix sur son cheval blanc, jetant ses armes aux pieds de
César. Dès cet instant, sa fin sera sordide, affreuse, mais ce que
les générations futures retiendront, c'est l'attitude de celui qui,
au moins à cet instant, ressemble à un vainqueur, à un souverain.
Lionel Royer (1852-1926) : Vercingétorix jette ses armes aux pieds de Jules César |
Plus
près de nous, Clément Marot (1) nous a laissé ce poème en huit vers
(un huitain), jamais oublié depuis mon adolescence. Il s'agissait
des derniers instants du sire de Semblençay, faussement accusé lors
d'un procès truqué et conduit au gibet de Montfaucon par le
lieutenant Maillart :
À Monfaulcon Samblançay l'ame rendre,
À votre advis, lequel des deux tenoit
Meilleur maintien ? Pour le vous faire entendre,
Maillard sembloit homme que mort va prendre
Et Samblançay fut si ferme vieillart
Que l'on cuydoit, pour vray, qu'il menast pendre
À Montfaulcon le lieutenant Maillart (2)
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(1) Clément Marot : poète français (1496 – 1544)
(2) Lorsque Maillart, juge d'enfer, menait / A Montfaucon Semblançay l'âme rendre / A votre avis, lequel des deux tenait / Meilleur maintien ? Pour le vous faire entendre / Maillard semblait l'homme que mort va prendre / Et Semblançay fut si ferme vieillard /Que l'on croyait, pour vrai, qu'il menait pendre / A Montfaucon le lieutenant Maillart
Merci Frédéric pour ce billet. Je n'ai pas l'habitude de commenter. Les billets se suffisent par eux même. Mais cette fois, vos propos entrent tellement en résonance avec un poème de Constantin Cavafis que je me permets de déroger à cette habitude. Le poète s'adresse à Marc-Antoine, qui vient de perdre la bataille d'Actium face aux navires d'Octave, futur Auguste. Son dieu protecteur, Dionysos, quitte sa capitale Alexandrie accompagné par son cortège. La défaite totale est désormais irrémédiable. Le poète lui intime la conduite, digne, à tenir. La description psychologique des tentations faibles auxquelles tout vaincu est affecté est d'une rare précision.
RépondreSupprimerAntoine abandonné de Dieu
Quand soudain aux environs de minuit,
tu entendras passer un cortège invisible,
avec des mélodies sublimes, ponctuées de clameurs-
alors sur ta fortune qui chancelle, sur tes œuvres
qui ont échoué, les projets de ta vie qui tous
ne se sont révélés n'être que chimères, ne te lamente pas en vain.
En homme prêt depuis longtemps, en homme courageux,
une dernière fois salue Alexandrie qui s'éloigne.
Surtout ne t'abuse pas, ne t'en va point dire
que ce n'était qu'un rêve, que ton oreille s'est méprise ;
à d'autres d'aussi sottes espérances.
En homme prêt depuis longtemps, en homme courageux,
comme il convient à qui pareille cité s'est livrée,
approche-toi résolument de la fenêtre,
et avec émotions, certes, mais sans
les plaintes et supplications des lâches, écoute
dans une ultime jouissance, les sons inouïs,
les si doux instruments du mystérieux cortège,
et salue-la, cette Alexandrie que tu perds.
(trad Dominique Grandmont)
Eric Delos