Je ne résiste pas au plaisir de vous transmettre un conte très connu au Japon. Je le considère comme un des plus instructifs concernant notre pratique. Mais je vous laisse le soin d'en tirer toute la leçon. Et il y aurait beaucoup à dire.
Le Samouraï et le chat zen
Un samouraï, pourtant expert
en arts martiaux, n'arrivait pas à se débarrasser d'un gros rat qui avait élu
domicile dans sa demeure et y faisait moult dégâts. Le rongeur était très vif
et très malin. Il esquivait les coups de sabre et déjouait tous les pièges. Le
maître des lieux finit donc par se rendre sur le marché pour acheter un chat.
Un marchand lui fit l'article et il revint avec un jeune mâle plein de vie.
Après une semaine de miaulements, de bonds et de cavalcades effrénées, le
fringant matou était toujours bredouille.
Le samouraï mécontent
retourna donc rendre le chat au marchand qui lui vanta aussitôt les mérites de
sa dernière acquisition : un tigré dans la force de l'âge. A l'entendre,
il n'y avait pas meilleur chasseur de rats !
Effectivement, le nouveau venu se montra plus expérimenté et plus subtil. Il restait de longues heures à l'affût derrière un meuble. Il se déplaçait en rasant les murs, rampait dans l'ombre sans éveiller l'attention. Mais au bout d'une semaine, le rat courait toujours. Furieux, le porteur de sabre rapporta le chat au marchand et lui réclama son argent.
Le samouraï rendait
régulièrement visite à un moine zen d'un temple voisin. Il lui parla de son
problème.
- Eh bien, lui dit le bonze, empruntez donc quelque temps notre vieux chat. Ici, grâce à lui, nous n'avons aucun rongeur !
Et il l'emmena dans le dojo où sur un zafu, un coussin
de méditation, dormait un matou grassouillet quelque peu décati, le crâne à
moitié dégarni en manière de tonsure. Le guerrier rapporta chez lui le minet et
le déposa endormi sur un tatami sans
que celui-ci ne paraisse s'être rendu compte qu'il avait changé de domicile.
L’attitude du chat
monastique était des plus consternantes : il passait son temps à dormir
sur le tatami, toujours à la même
place, près du feu, ne se levant que pour manger sa pitance et faire ses
besoins. A croire qu'il avait pris les mauvaises habitudes de certains moines
qui, après s'être rempli la panse, faisaient zazen des heures durant en
piquant du nez !
La semaine n'était pas finie
que déjà le samouraï rapportait au temple cette bouche inutile à nourrir.
- Ne soyez pas si impatient ! s'exclama le bonze. Gardez-le encore quelque temps, faites-moi confiance. Je suis sûr qu'il finira par vous donner entière satisfaction.
Sceptique, le gentilhomme
rentra chez lui avec le vieux matou. Les jours se succédèrent sans que son
attitude ne change et, comme le dit le proverbe : quand le chat dort, les
souris dansent. En l’occurrence, le rat en prenait de plus en plus à son aise.
Il s'enhardissait même à venir tâter des plats qui allaient mijoter sur le feu,
effrayant la servante. Le vieux matou, toujours immobile, ne montrant aucune
réaction, le rongeur ne se soucia bientôt pas plus de lui que s'il était
empaillé ! Et un jour, trottinant à portée de patte, il fut saisi par la
brusque détente du chat zen. En un éclair, il était égorgé.
Le samouraï, qui avait
assisté de loin à la scène, n'en crut pas ses yeux. Il se remémora l'un des
principes de la stratégie chinoise : endormir la vigilance de
l'adversaire. Il rapporta le vieux matou et fit un don au temple. Puis il
médita la leçon et, dit-on, fit de notables progrès dans la pratique du sabre.
In
"Contes des sages samouraïs" de Pascal Fauliot aux éditions du Seuil
Ouvrage
dédié à son maître, Jacques Normand
Crédit : Philippe Flohic |